
Chagrin d'amour
Quand une histoire d’amour se termine, c’est comme une mort. La notion de temporalité disparaît. L’espace qui nous entoure semble soudain disgracieux, inconfortable. C’est fini. Il est midi mais quelle heure est-il vraiment ? Quel jour sommes-nous ? Une douleur familière qui était pourtant devenue étrangère s’installe au fond du ventre et gronde jusque dans la poitrine. C’est fini. Trois mots, trois balles dans la tête. Comment « bien » traverser un chagrin d’amour ? Et comment s’en remet-on ?
Quand je vis un chagrin d’amour, je suis paralysée de douleur. C’est comme ça. Je n’ai jamais su faire autrement, je n’ai jamais su faire comme tous ces gens qui partent à la chasse ou à l’oubli dès le lendemain dans des bars à chagrin. Ce que j’en pense est que les œillères n’ont aucune valeur ajoutée quand on se fait larguer, elles retardent simplement la bombe qui va t’exploser au visage un jour ou l’autre. Et cette bombe est souvent très méchante. Mais après tout, chacun deal comme il le souhaite avec sa douleur. Moi, je ne décide pas. Ma douleur me prend en otage. Ma douleur est une cage. Je dois faire le tour de cette cage pour m’extirper de la douleur. Je le dois parce que j’y suis coincée et donc obligée. Les appels ne servent à rien, les engagements, les évènements non plus. Ma douleur est l’évènement. Le seul évènement où je dois être pour comprendre la fin de mon film. Je dois le vivre pour me croire.
Cette paralysie de chagrin n’a rien de cool. Elle est pénible. Aussi pénible que l’homme bancal qui vient de jeter tout ce qu’il a longuement et sciemment installé en moi : ma drogue préférée, l’amour. Pour rendre moins pénible ma paralysie, j’apprends malgré moi à ne pas la détester, parce qu’elle est nécessaire dans mon sevrage. Désaimer, ou plutôt se détacher - parce qu’on ne désaime jamais vraiment ce qu’on a véritablement aimé - c’est faire l’expérience de la redescente. C’est se sevrer. Je me sèvre de toi. J’accueille le manque de toi sans chercher à le combler. Je souffle. Je souffre. Je souffre comme une chienne, comme une chatte en chaleur dans sa cage. Je me sèvre de toi. J’accepte les pensées obsédantes. Est-ce que lui aussi pleure ou est-ce qu’il s’en fout ? J’accepte de préférer penser que tu t’en fous au point d’en pleurer. Les larmes, c’est encore un peu de toi ici en moi. C’est comme ça, je dois l’accepter. Quand je n’aurai plus mal au cœur, ce sera vraiment fini.
Après la paralysie du chagrin, on le sait, c’est la colère qui vient. Vilaine mais nécessaire. Comme le chagrin. La cueillir aussi. L’embrasser. Jusque dans les insultes, même les pires. Les insultes de mépris violent sont celles qui ont le meilleur goût. Y accorder une forme d’importance, ne pas s’en vouloir d’être méchante. S’en flatter. Là, là, c’est comme ça. La part d’ombre fait partie du processus. De toute façon, rien n’est encore gagné : la haine, c’est encore l’amour. L’accepter. J’accepte que tu sois un énorme connard parce que bientôt, très bientôt je le sais, tu me sembleras insignifiant, tellement insignifiant que j’arriverai alors à te souhaiter du bien, j’arriverai à me souvenir de la personne adorable que tu étais, des moments adorables que j’aurai partagés avec toi. Je me dirai. J’aimais t’aimer. Je me sentais vivante dans tes bras. Tes petits déjeuners et tes surprises me touchaient si bien que je me réveillais chaque matin avec l’excitation d’une enfant de 5 ans qui s’en fiche de ne pas avoir dormi. Je me dirai. Je vais bien donc je vais mieux. Je me dirai. Je l’aimais pour de vrai celui-là. Et peut-être alors qu’en pensant cela, je t’aimerai encore, mais sans chagrin ni colère. Et ce sera juste bien.
Puissiez-vous traverser vos grands chagrins comme on traverse le bonheur.
Tout passe. Rien n’est grave. Personne n’est irremplaçable et c’est ce qui rend le goût de la vie appréciable.
Sarah - @ladelicatessedesmots
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